19 janvier 2006

cultivé-e

Sarah m’a demandé ce qu’il conviendrait de faire pour être « cultivée ». A bien y réfléchir nous sommes d’accord qu’il s’agit de lire des livres…Regarder la télé, travailler pour son patron, bavarder, entrevoir des peintures au pas de charge … sont des façons différentes de nourrir le monstre. Vivre, regarder, lire et écrire suffiraient bien à tout un chacun. Rien d’autre que les livres finalement, ne pourrait nous rendre dignes de l’humanité.
Naturellement je me suis retourné vers la bibliothèque idéale de R. Queneau, élaborée dans les années cinquante après enquête. Je me souvenais du fait qu’elle comportait cent titres. J’ai été surpris de voir que je partage encore beaucoup de ses choix. Mais je me devais d’y ajouter quelques textes qui ne relèvent pas de la littérature. L’ignorance du droit, des sciences ou de l’histoire me semblerait criminelle.
Peut-être ne faut-il pas avoir tout lu, même d’une aussi courte liste mais au moins parcouru et surtout relu.
1. Shakespeare, Théâtre (surtout le Roi Lear et Songes d’une nuit d’été)
2. Conrad, Le Nègre du Narcisse
3. O'Flaherty : Insurrection
4. Montaigne, Essais
5. Rabelais, Les Cinq Livres
6. Baudelaire, Les Fleurs du Mal
7. Pascal, Pensées
8. Molière, Théâtre
9. J.-J. Rousseau, Les Confessions
10. Stendhal, Le Rouge et le Noir
11. Epicure, Lettres et Fragments
12. Stendhal, La Chartreuse de Parme
13. F. Villon, Les Testaments
14. Rimbaud, Oeuvres poétiques
15. Cardinal de Retz, Mémoires
16. Tolstoi, La Guerre et la Paix
17. Saint-Simon, Mémoires
18. Cervantes, Don Quichotte
19. Racine, Théâtre
20. Eschyle, Théâtre
21. Dostoievsky, Les Frères Karamazov
22. Mallarmé, Poèmes
23. La Fontaine, Fables
24. Goethe, Faust
25. Matthieu, Evangile
26. Flaubert, L’Éducation Sentimentale
27. Homère, L’Odyssée
28. Corneille, Théâtre
29. Dante, La Divine Comédie
30. Chateaubriand, Mémoires d’Outre-Tombe
31. Maupassant, Bel Ami
32. Alain de Botton, les consolations de la philosophie
33. James Joyce, Ulysse
34. Zweig, Le Monde d'hier : souvenirs d'un Européen
35. Swift, Les Voyages de Gulliver
36. Verlaine, Poèmes
37. Flaubert, Madame Bovary
38. Rimbaud, Une Saison en Enfer
40. Furet, Le passé d'une illusion
41. Melville, Moby Dick
42. Aristophane, Théâtre
43. Tacite, Annales et Histoires
44. Spinoza, Éthique
45. Hölderlin, Poèmes
46. Gérard de Nerval, Les Filles du Feu
47. Defoe, Robinson Crusoe
48 Fourastié, Les conditions de l’esprit scientifique
49. Lautréamont, Les Chants de Maldoror
50. Victor Hugo, Les Misérables
51. Lewis Carroll, Alice au Pays des Merveilles
52. Musset, Comédies et Proverbes
53. Jules Renard, Journal
54 Peter Laslett, un monde que nous avons perdu
55. Dostoievsky, L’Idiot
56. Emily Brontë, Les Hauts de Hurle-Vent
57 La Boétie, Discours de la servitude volontaire
58. Voltaire, Contes
59. Balzac, les Chouans
60. Dostoievsky, Crime et Châtiment
61. Plutarque, Vie des Hommes illustres
62 Voltaire, le Siècle de Louis XIV
63. Karl Marx, Le Capital (au moins quelques extraits bien choisis)
64. Benjamin Constant, Adolphe
65. Beaumarchais, Théâtre
66. Machiavel, le Prince
67. Elie faure, Histoire de l’art
68. Lorca, Poèmes
69. Malraux, La Condition humaine
70. La Rochefoucauld, Maximes
71. La Bruyère, Les Caractères
72. Mme de Sévigné, Lettres
73 Eco, le Nom de la Rose
74. Jarry, Ubu roi
75. Valéry, Poèmes
76 Une place pour Averroès, mais je trouve l’incohérence de l’incohérence illisible
77 Kipling, Kim
78. Mérimée, Nouvelles
79. Valéry, Variété
80. Héraclite, Fragments
81. Marivaux, Théâtre
82 Bouvier, l’usage du monde
83. Kafka, Le Procès
84. Khayyam, Quatrains
85. Apollinaire, Alcools
86. André Gide, Journal
87. Andersen, Contes
88. Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires
89 Règlement international pour prévenir les abordages en mer.
90 Freud, l’Avenir d’une illusion
91. Conrad, Lord Jim
92. Montesquieu, L’esprit des Lois
93. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra
94 Déclaration universelle des droits de l’homme
95 Lobo Antunes, le Cul de judas
96 Gracq, le Rivage des Syrthes
97 Meienberg, L'exécution du traître à la patrie Ernst S
98. Gogol, Les Âmes mortes
99 Levi, Si c’est un homme
100. Bernanos, Journal d’un Curé de Campagne

alité

Comme la maladie des Rois me tient au lit, je lis. Jeremy Rifkin, entre autres. J'ai été frappé qu'il introduisit son chapitre sur les différences de politique étrangère entre les Etats-Unis et l'Europe par des considérations sur la peine de mort. Je pense à la reflexion qu'il voit juste : l'accepter d'un côté de l'Atlantique et faire de son abolition une condition sine qua non de l'adhésion à l'Union de l'autre est une divergence fondamentale dans la manière de voir le monde. Aujourd'hui pour maintenir la peine de mort après deux guerres mondiales et le reste, il faut être parfaitement cynique mais un homme peut l'être, pas un peuple. Reste une possibilité : être certain d'avoir raison et d'être dans son bon droit. Et voilà ce qui caractérise l'Amérique. Nous, la jeune "vieille" Europe nous n'avons plus depuis longtemps l'outrecuidance des certitudes.

12 janvier 2006

retraité

Je commence à avoir une idée de la fin. Je me souviens d’une réunion à Bruxelles la dernière année du précédent siècle. Un expert de la Banque mondiale évoquait sa vision de l’avenir à moyen terme dûment inspirée du film Soleil Vert. Si vous ne connaissez pas, imaginez une planète surchauffée et surpeuplée ou les Vieux choisissent de disparaître devant des images vidéo de la Terre qu’ils avaient connue au temps de leur jeunesse. Incidemment on apprend que leurs corps euthanasiés servent de nourriture aux vivants.
La démographie actuelle nous conduira vers des solutions radicales. Aujourd’hui une partie des Anciens est une manne économique. Il faut du monde pour les servir, les distraire, les faire voyager, les soigner… On appelle cela dans les documents politiques les « services à la personne ». Amusant car lorsque vous devenez une catégorie économique, on ne vous reconnaît plus tellement comme une personne mais plutôt comme un outil ou un agent. Il y un an ma mère mourrait, elle était devenue dans les derniers temps un corps à rentabiliser l’usage des scanners et autres coûteux bidules médicaux. Par chance les maisons de retraite comme les établissements hospitaliers font appel à un personnel fraîchement immigré qui ne baigne pas encore suffisamment dans notre système de « valeurs ». Ils considèrent, contre toute préoccupation rationnelle, que les Vieux sont des personnes. Commentaire de ma mère encore lucide à ce moment : « je n’aimais pas les Noirs (elle n’en avait pas connu…), eh bien j’ai appris ici que ce sont les meilleurs ».
Nous qui partons demain en retraite risquons d’être pour les générations futures un poids financier intolérable. Nous sommes nombreux, ce sont nos enfants qui paieront : ils sont rares. Il faut donc raisonnablement s’attendre à des « produits » qui garantiront l’avenir de nos enfants contre une disparition organisée, légalisée et encouragée politiquement. D’abord on changera les mots, on inventera une catégorie. On pourrait reprendre le très joli « économiquement faible » d’autrefois. On nous culpabilisera comme on le fait déjà pour la pollution, la canicule, la sécurité sociale, le chômage… On commencera par nous faire sentir notre inutilité dès lors qu’on aura « rééquilibré » nos pensions vers zéro. Nous comprendrons alors que nous sommes une charge intolérable et nous déciderons d’assurer l’avenir de nos petits enfants en sollicitant notre mort médicalisée. Il sera certainement intéressant pour les plus jeunes de prendre des parts dans les sociétés organisatrices de cérémonies.
Bonne année à tous !