30 mars 2006

criminel

L’histoire retiendra peut-être que l’affaire avait commencé par l’initiative solitaire d’un premier ministre qui voulait faire semblant d’agir et se heurta à des opposants qui firent semblant de protester. En durant le conflit devint presque réel.
Quelle qu’en soit l’issue on peut déjà dresser un bilan. Il a réussi à unir les syndicats, requinquer l’opposition de gauche et diviser son propre camp, voilà de risibles maladresses.
Avoir ruiné une réflexion nécessaire sur les contrats de travail et conforté beaucoup de Français dans leur penchant immobiliste, est certainement beaucoup plus grave. Avoir désespéré encore un peu plus une jeunesse déjà écœurée par le manque de considération, —quelle joie y a-t-il à être une « variable d’ajustement » ?— une jeunesse déjà condamnée à vivre aux crochets de ses parents, c’est dramatique. Mais l’avoir poussée à épouser les vieux mythes nationaux : attendre son salut d’un Etat réputé protecteur et espérer un emploi à vie, c’est aujourd'hui un crime !

19 mars 2006

lendemain de manif

Hier j'étais dans une tête de manifestation silencieuse, comme un soutien aux jeunes qui venaient derrière mais dépourvu de tout commentaire.
Vendredi dernier, fin d’après-midi. En voiture, j’écoute France Culture, voici l’ineffable Albert Jacquard. Il est en train d’expliquer que les libéraux ont tort, ce qui doit lui arriver souvent. Car, dit-il le marché n’a pas de mémoire, il ne s’intéresse qu’au présent et ne connaît pas l’avenir. Entendre que le marché ne saurait s'intéresser aux problèmes de nos petits enfants, etc... Obnubilé qu'il est, le bougre, par le profit immédiat. Je ne connais pas l’avenir et Jacquard non plus. Je devine qu’il veut dire ainsi qu’un avenir radieux ne saurait être qu’une œuvre collective réfléchie et construite politiquement. Mais lisons (pour une fois) le texte de Smith.
It is not from the benevolence of the butcher, the brewer or the baker that we expect our dinner, but from their regard to their own self-interest... [Every individual] intends only his own security, only his own gain. And he is in this led by an invisible hand to promote an end which was no part of his intention. By pursuing his own interest, he frequently promotes that of society more effectually than when he really intends to promote it”.
C’est bien ce que dit Smith, c’est parce qu’il ne s’intéresse qu’à ses affaires et à rien d’autres que l’individu produit un résultat qui peut-être bénéfique pour tous quand personne ne lui gonfle la tête d’idéologie vertueuse. En vérité l'avenir n'est que la résultante de décisions qui semblent aléatoires. La critique de Jacquard tombe comme une loque,seuls les esprits totalitaires pensent vraiment qu'ils peuvent forcer le destin ; ce qui ne signifie pas que les Libéraux aient raison. Notons tout de même que la sagesse populaire se méfie à juste titre des bonnes intentions dont on justifie les pires crimes. Karl Popper a démontré, il y a bien longtemps, que les buts énoncés ne peuvent être atteints. Dramatique. Dur pour les politiciens, surtout ceux, par exemple, qui promettent la bonne décision pour venir à bout du chômage et sont tout surpris de recueillir un effet pervers (adventice dirait Popper). Et pourtant ils continuent. Je gage que M. de Villepin, si son dispositif lui survit, sera surpris que les embauches de jeunes n'augmententent pas mais que celui qui a plus de vingt six ans ou qui n'a pas six mois de chômage derrière lui n'a plus aucune chance. Quant à Albert Jacquard, ce qu'il lui manque, c'est que ses amis ne soient pas au pouvoir pour lui permettre de vérifier qu'Adam Smith est certes critiquable, mais exempt, lui, de toute pensée totalitaire même inconsciente.

14 mars 2006

patriote

Un pays où l’on refuse d’accueillir ceux qui risquent leur vie pour y venir. Au motif que leur motivation est « économique », on les renvoie ; seule la persécution pour les idées est admissible dans ce pays. Un pays où la moitié des actifs travaillent directement ou indirectement pour l’Etat. Un pays où l’on supplie l’Etat d’intervenir quand une usine ferme. Un pays d’où on ne part pas, un pays où l’on ronge son frein bruyamment mais sur place. Un pays où la télé ne parle que des faits divers de « proximité » et des chanteuses de « chez nous ». Un pays où l’on ne parle pas les langues étrangères. Un pays qui s’enrhume à l’air du large. Un pays minuscule qui se croit grand et qui veut faire la leçon au reste du monde parce qu’autrefois on y a écrit les droits de l’homme. Un pays où désormais les jeunes risquent de naître vieux.

03 mars 2006

Soixantième

J’ai soixante ans. Lors de mon cinquantième anniversaire, j’avais l’impression fallacieuse d’être à la moitié de ma vie. Cette fois c’est plutôt du genre compte à rebours. Cela pousse aux bilans. Etonnant à quel point je me suis plié aux injonctions reçues dans mon jeune âge. A vrai dire toute sauf une. Par exemple : après 42 ans de conduite automobile, je n’ai toujours pas eu de contravention même pour stationnement illicite. Je ne me souviens pas d’avoir volé ou escroqué qui que ce soit. Je n’ai menti (rarement) que par souci du bien ou de ne pas blesser. On m’a fait remarquer que mon comportement très légaliste semblait contradictoire avec l’affichage de mes idées libertaires. Mais je n’ai honoré que les principes qui permettent de vivre en société. Si l’on veut ruiner le pouvoir, celui de l’Etat, comme celui de l’Eglise, de l’armée ou tout simplement des « chefs » de tout poil, et vivre au milieu des humains, il est nécessaire de respecter les règles qui rendent possible la vie collective. C’est pour cette raison que je me suis refusé systématiquement à la « vertu d’obéissance ». Pourtant dans mon enfance elle dominait tout : les enfants étaient « dressés » (on parlait ainsi) à obéir. Les parents, l’école laïque comme le catéchisme ressassaient cette obligation sans relâche. Je reste convaincu qu’elle est à l’origine de presque tous nos maux, notamment les plus atroces du vingtième siècle. Il faut refuser d’obéir.