21 octobre 2006

à bord



Quand il constate le nombre de bateaux immobiles dans les ports de plaisance, le bon peuple s’esclaffe : « il n’y en a pas beaucoup qui naviguent ». Ce qui probablement sous-entend que eux s’ils en avaient un, il en irait autrement… C’est oublier que les mêmes qui ricanent s’ils ont une caravane, un camping-car, une maison de campagne … ne les utilisent pas plus. Car la durée des congés n’est pas plus longue si l’on dispose d’un bateau.
Ce qui de mon côté me surprend plus c’est que les bateaux à quai ne soient pas utilisés pour y vivre. Naviguer est une chose, mais même ceux que l’on ne connaît que comme navigateurs passent le plus clair de leur temps à terre. Et il en fut toujours ainsi. Et de plus en plus de plaisanciers utilisent leur bateau comme des autos, ce qui explique sans doute pourquoi les embarcations à moteur représentent les 4/5 du parc.
J’ai fait durant tout l’été, l’expérience (modeste) de vivre à bord même lorsqu’on ne navigue pas. Mon voilier n’est pas grand mais il contient tout ce dont on peut avoir besoin, y compris même un peu de superflu et de confort. J’ai constaté plusieurs choses. Tout d’abord, l’espace est presque maîtrisable dans tous les sens, ce qui donne une impression de « chez soi » étonnante. Se mouvoir requiert l’usage des bras autant que des jambes ce qui provoque un entraînement physique continu. Jamais, même si l’eau est lisse comme un miroir, le bateau n’est totalement immobile, le cerveau travaille donc à rétablir l’horizontalité en permanence, c’est d’une grande relaxation et les nuits sont l’occasion d’un sommeil quasi fœtal.
Je recommencerai car je me suis senti, revenu à terre beaucoup plus nerveux, instantanément

02 octobre 2006

début d'un été sans fin

Je n’aspire pas aux longues traversées. Appareiller est une fin en soi qui, pour un peu me suffirait si j’étais plus sage. Anticiper dans sa tête chaque étape de la manœuvre qui permettra de quitter le ponton : réfléchir à chaque geste. Observer le vent et le courant. Décider de l’ordre dans lequel il faudra larguer les amarres, la dernière est cruciale, c’est celle qui reçoit le plus de force mal orientée, du vent ou pis du courant. Vérifier que rien ne traîne qui viendrait se prendre dans l’hélice. Etre certain qu’aucun bateau ne manœuvre au même moment. Quand tout est clair, choisir l’instant précis où larguer la dernière amarre. Donner de la barre exactement dans la direction nécessaire (se souvenir que tout déplacement est une résultante des forces en présence). Battre un grand coup en arrière. Le bateau s’éloigne doucement de sa place. Se souvenir du sens de rotation de l’hélice. Revenir au point mort. Mettre la barre à gauche. Remettre les gaz en arrière toute. Sentir le bateau virer oh, si lentement. Constater comme chaque fois que l’avant décrit un immense arc de cercle qui passe à raz du cul du voisin. Se retrouver presque immobile dans l’axe du chenal. Tenir fermement la barre. Pousser la commande des gaz en avant. Sentir la vibration du safran et entendre le moteur ronfler à 2500 tours/minute. Noter l’heure et la reporter sur le journal de bord. Je me sens alors très calme. C’est une sensation proche du bonheur dirait Perez Reverte. On fait route. Pendant quelques minutes le vent est dans l’axe du chenal et on en profite pour hisser la grand voile, c’est-à-dire : choquer la balancine, serrer la manille au point de drisse, vérifier les « lazy jacks », choquer l’écoute de grand voile, revérifier la direction apparente du vent, hisser en tournant la drisse sur le winch pour finir d’étarquer à la manivelle. Contrôler du regard l’allure de la grand voile. Il est temps de rentre les parrebattages. Encore quelques instants et l’on établira le génois avant de couper le moteur. Alors ce sera le royaume du vent et de la mer. On y va toujours sur la pointe des pieds. On ne peut pas y être « chez soi ». Mais on y est libre et tout le superflu est resté à terre. On est entré dans le monde réel.