20 novembre 2008

les mâchoires du langage

tout ce mécanisme verbal qui, si nous n’y prenons garde, s’ingénie à chaque instant à penser pour nous tout seul, de laisser le champ libre à l’" aimantation " intérieure du subconscient..la dictée intérieure, y doit se doubler d’un effort de tous les instants, et qui réclame, lui, l’attention la plus soutenue, pour desserrer les mâchoires du langage, pour paralyser ses mécanismes moteurs, toujours prêts à se substituer à la pensée qui lâche la bride. Une langue, et surtout une langue qui comme la française a beaucoup servi (il s’agit ici de son usage littéraire) tend à ressembler de plus en plus à un système compliqué d’aiguillages entrecroisés – où le mécanicien aux yeux bandés, beaucoup plus souvent que de provoquer quelqu’une de ces magnifiques catastrophes de locomotive renversée dans la forêt vierge dont rêve Breton, risque, plus banalement encore que d’autres, d’aboutir au cul-de-sac ensommeillé d’une voie de garage: on ne l’a déjà que trop vu. (...) (Julien Gracq, André Breton, quelques aspects de l’écrivain, p. 94, édition José Corti)