01 novembre 2004

individualiste

Le mot n’a pas bonne presse. C’est que tous les intérêts constitués des Eglises aux Etats en passant par tous leurs séides trouvent nécessaire de promouvoir la solidarité et l’humanitarisme. Que deviendraient en effet la religion ou la politique si ceux qui en vivent ne pouvaient à toute occasion faire appel à notre sens de la solidarité ?
Vous avez de nombreuses variétés d’individualistes. Je n’en regarderai que quelques unes.
Vous avez celui qui se nomme parfois « anarchiste de droite », ennemi personnel de son percepteur, genre voyou en costume, admirateur de quelque brute dépourvue de tout principe moral, capable d’admirer Céline par simple goût de la provocation. Aucun intérêt sauf à être franchement aristocrate d’Ancien Régime, mais la race en est éteinte.
L'espèce la plus intéressante d’individualiste que je connaisse est composée de ceux qui n’ont aucune confiance dans les capacités de leurs contemporains. Infiniment plus subtile cette variété s’épanouit dans l’amour des autres. Elle s’auto proclame humaniste et optimiste parce qu’elle fait profession de croire en l’avenir. Une sous variante est d’ailleurs nommée progressiste. En réalité elle est totalitaire et profondément pessimiste. Cet individualiste trouve la satisfaction narcissique la plus élevée dans la compassion et le regard attendri, non de celui qui lui dirait merci, car il n’attend point d’être remercié, mais dans l’admiration de celui qui donne moins de lui-même. C’est un égoïste platonicien. En effet, il croît à l’existence des idées, le Bien, la Liberté, Dieu, la Patrie, la Vérité, ou l’Humanité, ou de tout cela un peu, mais avec foi… Ces fantômes, comme aurait dit Stirner, sont pour lui sacrés. En général, il sait donc ce qui est bon pour le bonheur des autres. Amusant quand il est socialiste, il comprend vite que les déroutes électorales peuvent être pavées de bonnes intentions. Il peut franchement devenir dangereux lorsque l’objet de son abnégation est la Patrie, le Führer ou le Communisme. Dans ce cas entraîné par son altruisme déchaîné il sera prêt à se sacrifier pour réaliser le bonheur de l’humanité. Il trouvera évident de vous liquider au passage si vous avez la moindre velléité de vous opposer à la réalisation du bonheur. Je sais que c’est difficile mais il faut imaginer Staline, Hitler, Pol Pot et leurs fidèles, sincères au moins jusqu’à un certain point. Sinon on ne comprendrait plus rien du tout à ce qui nous semble déjà si incompréhensible.
L’individualiste bourgeois me semble pourtant le plus important à considérer. C’est Joseph Prud’homme triomphant, sorti tout droit de la Révolution française. Les doctrinaires, de droite et surtout de gauche ne l’aiment guère car il n’est pas idéaliste. Attaché à l’argent et à la sécurité, il fait semblant de respecter les valeurs morales bien établies et les trahit quand son intérêt est en jeu. Il n’hésitera jamais à tromper sa femme, son financier et son meilleur ami. Ridiculisé depuis toujours par les artistes il est traité en personnage de vaudeville.
Pourtant c’est un héros. L’individualiste bourgeois a permis l’avènement du capitalisme moderne. En effet l’individualiste bourgeois, libéral si l’on veut, travaille à faire fructifier son capital. Il distribue au passage quelques miettes pour permettre aux humbles travailleurs de survivre. Cependant en dépit de tout c’est un humaniste optimiste. Car il croit les hommes, libres, raisonnables et capables de faire leur propre bonheur quand la majorité préfère penser à leur place.

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