15 avril 2005

triste

Hier soir, j’ai regardé la télévision. Je craignais le pis de ce show : Chirac face à la jeunesse du pays (version panel représentatif) et quelques animateurs de variétés en prime. L’émission m’a semblé excellente. Mais ce matin en écoutant les radios, un déplacement en voiture me permettait de faire un tour des ondes, j’ai compris que les journalistes avaient tranché : c’était nul. A l’exception notable d’Alexandre Adler sur France Culture, je n’entendis personne défendre ni le principe, ni la prestation de Chirac. Déçus peut-être de l’absence de la corporation sur le plateau pour stimuler l’orateur, ils ont trouvé que le président n’avait rien à dire et ironisé sur son appel répété à ne pas avoir peur.
Il me semble pourtant que Chirac a bien saisi ce qui se passait. Cette jeunesse est apparue sans projet, sans avenir, le nez rivé sur ses soucis de proximité. Quelques jeunes étudiantes tenant des propos dignes de « sciences-po » ne faisaient que souligner le caractère général du tableau.
Si les jeunes Français semblent si frileux, insensibles à l’air du large de peur de s’enrhumer, à qui la faute ? Pourquoi seraient-ils différents –a priori- des générations précédentes ? La responsabilité, à mon sens, est à partager entre les politiques, les médias et les éducateurs. Je sais qu’on dit toujours qu’il est trop facile de s’en prendre à ceux-là et ils ont des hauts parleurs pour le faire savoir. Mais à force de cultiver la raison technocratique imperméable, le fait divers monté en neige et le misérabilisme décoloré, ils ont réussi à ce que les jeunes ne soient plus que des (télé) spectateurs attristés d’un monde réputé dangereux. L’un d’entre eux a même fait remarquer que Chirac ne connaissait pas la réalité parce qu’il ne regardait pas la télévision ! Voilà ce que nous avons vu et entendu hier.
Ce renoncement, ce repli face à l’avenir, au monde qui bouge est sans doute plus à craindre qu’un "non" au référendum. Transformer les jeunes en vieux, c’est un crime.

06 avril 2005

bureaucratique

En apparence tout va bien. Partout l’assurance qualité progresse, dans les entreprises on pratique le culte du client. Le terme d’usagers disparaît du vocabulaire des administrations. On ne vous adresse plus que des messages nominatifs et personnalisés. En apparence tout va bien.
Mais il y a un peu plus d’un mois, je perdais ma mère dont j’étais l’unique enfant. Elle-même était veuve, mon père ayant eu l’élégance de nous quitter sur une crise cardiaque. Je me suis donc astreint à adresser à chacun (est-ce que le terme convient ?) : banque, caisses de retraite, fournisseurs d’eau ou d’électricité, assureur, mutuelle, sécurité sociale, éditeurs des journaux auxquels elle était abonnée, etc., j’en passe, des missives annonçant son décès avec un certificat ad hoc le plus souvent. La majorité n’a pas répondu et n’a rien, strictement rien fait (y compris l’organisme d’assurance vie, bien entendu, vu que je suis le bénéficiaire). Quelques uns ont fait le nécessaire sans répondre. Une fraction a répondu. Devinez quoi ? Certains ont expédié une lettre de relance (rappel en gros et en rouge menaçant) au notaire (j’ai l’air malin) pour des sommes qui ne sont plus dues. D’autres par deux fois m’ont répondu que la somme que je demandais ne pouvait m’être attribuée alors que je ne demandais rien ! La meilleure dans le genre automatisée : que « feue Mme X » devait d’urgence renouveler son abonnement. Oui, on a inventé la relance post mortem.
Inutile de vous dire que personne ne m’a adressé de condoléances même sous forme de lettre type. Ce serait d’un ringard, vous imaginez ! Et cela ferait des frais inutiles.
Qu’en penser ?
J’ai connu un temps où l’employé, à cette époque joignable par téléphone, disait, péremptoire, « c’est une erreur informatique ! », qui le croirait aujourd’hui ? Nous sommes condamnés à envoyer lettre sur lettre, à téléphoner à des « centrales d’appel » (notez qu’on ne dit pas « centrales de réponses ») qui ne connaissent pas votre problème, à payer de notre poche à la banque les arrêts de prélèvement car aucun opérateur de télécoms connu de moi, par exemple, n’est joignable, etc.
De brillants ingénieurs « optimisent » le fonctionnement et la productivité. Ils observent, font des statistiques et modélisent. Techniquement les « indicateurs » de fonctionnement qui devaient évaluer l’activité deviennent la norme sur laquelle s’ajuster.
A ce compte là, les événements importants de nos pauvres vies : déménager ou …mourir ne comptent plus guère. Ce sont des questions marginales pour un organisateur. Car les Français changent encore peu souvent de domicile dans leur vie et assurément ne meurent qu’une fois. Curieusement, j’ai le sentiment que nous devenons chaque jour un peu plus soviétiques, version soft : tout le pouvoir aux ingénieurs. Oui cela doit être le totalitarisme mou.

03 avril 2005

arboricole

Notre jardin était jusque là séparé des immeubles voisins par un rideau d’arbres. Ce n’était pas des arbres de valeur, de simples érables champêtres âgés d’une trentaine d’années. Toute une vie s’était organisée en fonction d’eux : les merles, les tourterelles turques, les mésanges, les rouge gorge s’y rassasiaient d’insectes.
Ces arbres étaient plantés à dix centimètres de notre culture, si quelqu’un eut du provoquer des problèmes de voisinage, c’était bien moi. Mais loin de moi cette idée, grâce à eux, les locataires de l’immeuble, comme nous, disposions d’un privilège rare si près de Paris : avoir des arbres devant ses fenêtres.
Mais nous ne les verrons plus sous la neige de l’hiver, ni dans la rosée vaporeuse des matins d’été. Le samedi 19 février sous la neige, quelques individus entamèrent une première taille radicale. Ils me dirent agir pour le compte du propriétaire de l’immeuble. Je les ai convaincu de rentrer au chaud et de ne pas abattre des arbres en catimini, sans autorisation. Mais le 2 avril, à nouveau un samedi notez-le, ils sont revenus et cette fois nous n’étions pas là. Les érables ont été liquidés. Pour aller plus vite, les sbires n’ont pas hésités à monter sans demander la permission sur notre terrasse, j’en ai la preuve, des photos ont été prises. Le véritable assassin, le commanditaire, n’a pas pointé son nez, il parait qu’il préfère le béton et le goudron. Les oiseaux sont partis. Nous contemplons le vide.