23 octobre 2004

pédagogue

L'école est l'objet d'attaques multiples. Même des enseignants tentent d'en saper les fondements. Elle mérite pourtant d'être défendue car on y apprend ce qui est vital :
-savoir attendre avec patience que l'autorité nous dise comment disposer de notre temps nous civilise,
-savoir que le maître à l'autorité nous permet d'être de bons travaileurs,
-savoir répéter comme un perroquet et ne pas penser par soi-même nous éloigne des tentations libertaires,
-savoir s'ennuyer fait de nous de bon croyants sachant que la vie n'est pas une partie de plaisir,
-savoir que ce qui compte ce n'est pas de faire des choses mais de passer le temps nous éloigne des cogitations intellectuelles,
-savoir que l'effort est plus important que le résultat nous permet de croire au Paradis à défaut du Père Noël,
-savoir que nous ne valons que ce que valent nos diplômes nous empêche de devenir des génies en herbe,
-savoir qu'une échéance peut changer nous apprend que nous avons besoin de l'Etat parceque les contrats ne valent rien,
-savoir qu'apprendre et s'amuser sont contradictoires,
-apprendre enfin que les seuls savoirs sont ceux que l'école reconnait et que le reste n'est rien et devenir une chair à canon docile.

20 octobre 2004

douteux

Ce ne sont pas les élections qui constituent la base de la démocratie, c’est le doute. Les civilisations archaïques sont sûres d’elles-mêmes. Elles refusent le doute et exigent le respect car il donne au pouvoir des assises solides. La démocratie instille le doute dans les esprits et pousse à l’impertinence en affirmant que d’autres idées que celles des dirigeants sacrés puissent être légitimes. Notons que la science repose aussi sur le doute, elle entretient donc un rapport étroit avec la démocratie, voici pourquoi les civilisations archaïques s’en méfient. En revanche elles acceptent la technique moderne et ses certitudes sans problème. Le doute est bien le contraire du respect. L’impertinence permet au monde d’avancer, le respect arrête net la pensée.

19 octobre 2004

livresque

Ceux qui agissent ne savent pas ce qu’ils font, ceux qui racontent ne savent pas ce qu’ils disent et nous ne comprenons rien : voilà pourquoi nous lisons des livres.

17 octobre 2004

cynique

En France, on enseigne la philosophie. A priori c’est une chance. En revanche d’un philosophe français vous avez toute chance d’apprendre qu’il est fonctionnaire. On comprend pourquoi le programme repose sur une des traditions qui va de Platon et Aristote à Sartre en passant par Kant, Hegel et Descartes. A tout prendre la probabilité d’entendre parler de Marx, voir de Plotin en classe terminale est plus élevée que celle d’espérer évoquer le nom de Diogène. En général on sait de lui deux choses : il vivait dans un tonneau (traduction gauloise de la jarre) et il a dit à Alexandre de Macédoine : ôte toi de mon soleil. On a perdu de vue le sens de ces deux anecdotes en les prenant pour des métaphores : dans la Grèce antique, la philo était une pratique. Diogène ne pérorait pas avec de grandes phrases sur les propos des philosophes illustres. Non il vivait en philosophe.

anarchiste

On n’y peut rien l’anarchie reste synonyme de désordre. C’est dans le journal : « le pays s’enfonce dans l’anarchie et le chaos ». Il arrive pourtant que l’Etat spolie ou que l’on massacre au nom de la raison d’Etat. Ce sont là des nécessités certes désagréables mais nécessaires pour assurer le bonheur de tous. Rien à voir avec cette dangereuse idée dont même les Bolcheviks se méfièrent, c’est tout dire. Ils prirent soin d’emprisonner tous les Anarchistes russes, pauvres naïfs qui crurent à l’émancipation populaire ! Pour les obsèques de leur leader Kropotkine, on les laissa sortir de prison avec promesse d’y revenir. Ils tinrent parole, les Bolcheviks en hommes de gouvernement sérieux les assassinèrent. Ces Anarchistes étaient dangereux : un responsable politique avisé ne tient pas sa parole. Il sait qu’on consolide le pouvoir non sur les alliances mais sur les trahisons.
Beaucoup jugent les anarchistes utopistes. C’est ignorer ce que sont les utopistes, en général des totalitaires, et ce qu’est l’anarchie. Les utopistes envisagent toujours de simplifier la situation en éliminant ceux qui sont hors cadre. Quant à l’anarchie, si la totalité des propositions politiques vise à renverser le pouvoir pour établir un régime considéré comme plus adéquat, l’anarchiste refuse le pouvoir et n’a nul besoin de s’en emparer. Certes dans l’histoire certains se sont fourvoyés grandement. En Espagne, jusqu’à devenir ministres.
Le pouvoir est maudit disait Louise Michel à ses juges. Le projet de l’anarchie n’est donc pas de remplacer une politique par une autre mais de tenter individuellement de désapprendre le pouvoir. Loin d’être utopiste, il s’agit donc d’une position quotidienne et pratique. Dans la famille avec sa femme ou ses enfants, dans la rue, au travail on peut essayer d’avoir un comportement anarchiste : s’opposer à la décision arbitraire, à l’exercice du pouvoir.

désespéré

Le désespoir seul peut être source de bonheur.
Pour l’Eglise, l’espérance est une vertu, et Saint Augustin dit finement que dans le royaume il n’y a plus rien à espérer. Nous y avons achevé nos désirs. Platon le premier nous entraîne dans cette voie de garage lorsqu’il fait dire à Socrate « c’est de ce dont il ne dispose pas qu’il a envie, c’est de ce qui n’est pas présent (…) voilà en gros de quelle sorte sont les objets de son envie, de son amour ». Jean-Paul Sartre continuera jusqu’à ce jour une tradition bien établie de peine à jouir : « l’homme est fondamentalement désir d’être (…) le désir est manque ». Pour ma part je refuse d’attendre le paradis céleste ou la réalisation du socialisme. Je préfère Comte-Sponville qu’on qualifiera utilement de petit philosophe car il semble aimer la vie telle qu’elle est. Il nous dit : « espérer, c’est désirer sans jouir, sans savoir, sans pouvoir ». Désespérer est indispensable. Les vertueux de service ont fait du desespoir un synonyme d’angoisse et de suicide par ce que cela les arrange. Mais le contraire d’espérer ce n’est pas craindre, c’est savoir, pouvoir et jouir. Le désespoir, au sens du refus de l’espérance c’est (toujours Comte-Sponville) désirer ce dont on jouit, désirer ce qu’on sait et désirer ce qu’on fait. Ce qui par le plaisir, la connaissance et l’action nous rend ce monde supportable et nous donne la seule chance imaginable d’y être heureux.
Le Banquet 200°, trad. Léon Robin, Gallimard, Pléiade
L’Etre et le néant , 1943, p. 652
Le bonheur désespérément p. 40