12 décembre 2004

identitaire

Ecoutez une émission de radio du début du XXème siècle, la singularité du ton, les voix bien timbrées et les phrases parfaitement construites. Ces voix que l’on n’entend plus. Peut-être imaginez-vous quelque stéréotype de « speaker », comme on les nommait. Il n’en est rien, toutes les voix d’avant la télévision étaient ainsi, l’extériorisation claire d’une pensée intérieure construite. Ce temps semble révolu, la phrase est devenue hésitante, le mot approximatif mais en clin d’œil, la conjonction a disparu, le cliché est permanent. Nous sommes dans l’ère, étrangement nommée de la communication. Pour le meilleur et pour le pis.
En Occident, les siècles précédents ont consacré l’émergence du sujet, doué de raison, libéré du poids des traditions et de la dictature du groupe. La démocratie, telle que nous l’avons conçue, met en conflit le moi autonome, la coutume et le pouvoir du prince. Or tout semble se passer comme si à l’heure où l’Occident tente d’imposer son modèle à la planète, les voix intérieures s’y taisaient.
Ces voix hésitantes qui ne font que susurrer « je sais ce que vous pensez » et « je pense comme vous », « vous et moi, nous sommes branchés sur la même longueur d’onde », ne sont que les caisses de résonance d’un consensus de nulle part mais plus pesant que n’importe quel credo dictatorial. Car donner la primauté à l’extériorité, au collectif, c’est faire taire la pensée libre. C’est ne plus manifester que notre acceptation des articles de foi, d’autant plus efficaces qu’ils ne sont jamais exprimés clairement.
Notre identité individuelle, ce moi occidental, lancé il y a trois siècles à la figure des dieux, des églises et des rois, est en péril. Nous devenons le bruit du monde. Je vous enjoins de résister. Le premier geste, élémentaire mais hautement politique, est de faire l’effort de s’exprimer clairement, d’utiliser la grammaire au mieux, même si nous avons déjà de la bouillie dans la tête. Souvenons-nous de la parole de Camus : ne pas employer le mot juste, c’est ajouter aux malheurs du monde.

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